L’économie sociale et solidaire plutôt que le capitalisme pur et dur !

De nos jours avoir un travail permanent semble être un luxe auquel beaucoup rêvent encore. Mondialisation oblige, les entreprises exigent de la flexibilité. Nous voici donc à l’heure du travail temporaire, du travail à temps partiel, le tout entrecoupé de périodes de chômage, bref du travail atypique. L’instabilité, voire l’insécurité semblent faire place à la sécurité d’emploi.

Au Canada, et au Québec également, l’économie semble bien se porter comparativement à nos voisins  les États Unis. Le taux de chômage est relativement bas et la croissance économique, bien que faible est tout de même respectable. Lorsque l’économie va bien et que le taux de chômage est bas, on pourrait donc conclure que l’emploi va bien. Étrangement cela ne semble pas être le cas. On assiste en effet plutôt à de nouvelles conditions de travail qui amènent leur lot d’instabilité et d’insécurité.

Dans leur étude, Qui s’enrichit, qui s’appauvrit 1976–2006, Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper, chercheurs à l’Institut de recherche et d’informations socio-économique (IRIS) l’ont constaté « Québécoises et Québécois ont travaillé plus fort et l’économie de la province a progressé de 71% entre 1976 et 2006, mais toutes les familles n’en ont pas bénéficié. La majorité des gains de revenus ont été aux 10% les plus riches, alors que les 70% les plus pauvres ont vu se réduire leur part de l’assiette économique ».

Il est fini le temps où lorsque l’on rentrait dans une compagnie, on y travaillait toute sa vie. De plus en plus, la vie dans l’entreprise n’est que de courte durée, les carrières sont fragmentées et des périodes de chômage, plus ou moins longue, en font parties.

Pour les personnes qui ont fait peu ou pas d’études, notamment de niveau universitaire, le chômage est plus élevé et les périodes sans emploi de plus en plus longues. Finalement un bon nombre de personnes finissent par être exclus des programmes d’assurance emploi.  Aujourd’hui un travailleur sur deux seulement est admissible à l’assurance-emploi. Les nouveaux emplois créés sont souvent précaires et sans avantages sociaux. Les femmes sont aussi celles qui, plus que les hommes, sont susceptibles d’avoir de moins bonnes conditions de travail, davantage à temps partiel, elles vivent aussi plus de période de chômage.
Nous assistons à ce que Diane-GabrielleTremblay appelle les nouvelles carrières nomades. « À l’opposé des arrières traditionnelles dans lesquelles les personnes gravissent les échelons au sein de grandes entreprises et institutions hiérarchiques. Les travailleurs nomades changent souvent d’employeurs en cherchant à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour se déplacer dans l’entreprise ou pour progresser dans la profession, et s’orienter de plus en plus vers le travail indépendant. Les carrières nomades peuvent être considérées comme précaires ou instables, selon le contexte » .

Fini donc la sécurité d’emploi, les avantages sociaux et la qualité de vie qui va avec elle. En effet, la sécurité d’emploi apporte un sentiment de bien-être et de contrôle sur sa vie. Lorsque l’on fait partie d’une entreprise, avec un emploi permanent, on adhère à des valeurs, à une culture d’entreprise. On développe un sentiment d’appartenance, à une équipe de travaille dont on fait partie, à une entreprise, elle-même porteuse d’une mission. Beaucoup de personnes se réalisent même à travers leur travail. On peut alors comprendre qu’inversement, un travail à temps temporaire, contractuel ou même sur appel apporte angoisse et incertitude, voire manque de reconnaissance et de sentiment d’appartenance.
Face à cette insécurité d’emploi, qui se développe de plus en plus, Diane-Gabrielle Tremblay propose de soutenir un modèle de type scandinave afin d’assurer la sécurité économique des individus. Elle conteste donc les modèles américains et anglo saxon qui provoquent le développement de la précarité et de l’insécurité.

Mais en quoi consiste ce fameux modèle scandinave ?

La Scandinavie est composée des pays que sont la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Suède. Aux prises à de graves problèmes politiques et économiques, ces pays ont procédé au début des années 1990 à des changements drastiques, tant au niveau économique que social. « En 2005, la Suède, la Finlande et le Danemark caracolaient en tête des pays qui ont les taux d’emploi les plus élevés, qui sont les plus productifs, qui offrent la meilleure formation, qui sont les moins corrompus, qui sont les plus égalitaires et les plus agréables à vivre », note Stéphane Paquin .

Cette réussite n’est pas arrivée par hasard mais bien par volonté politique, celle que l’État intervienne afin d’assurer sécurité aux individus et flexibilité aux entreprises. L’État a commencé par lui-même, en effectuant de profondes réformes, réduisant considérablement le nombre de fonctionnaires et imposant des principes d’efficacité publique. Stéphane Paquin indique d’ailleurs que La Scandinavie a mis en place des stratégies qui « se déclinent en trois volets :
1. accepter le libre-échange, la concurrence et plus généralement l’efficacité économique;
2. miser sur le savoir, l’innovation, les universités et la recherche-développement en se fixant des cibles ambitieuses;
3. faire une importante réforme de l’État basée sur les principes de l’efficacité publique tout en accordant un plus grand rôle et une responsabilisation des acteurs privés et sociaux ».

Dérèglementation des marchés publics, privatisation même dans les domaines de l’éducation et de la santé ainsi que la transformation des politiques sociales sont au cœur de cette réussite tant enviée mais jamais égalée. Sans oublier la fameuse « flexsécurité » danoise. « Un mélange de flexibilité pour les entreprises et l’économie au niveau des licenciements et de sécurité économique pour les salariés » . Au Danemark, pas de salaire minimum, pas de modèle de contrat de travail, pas de durée légal du travail, ni de protection du droit de grève et encore moins d’indemnité chômage versée par l’employeur. Par contre, « s’il perd son emploi, un travailleur touche 90 % de son salaire précédent, avec un plafond, pour une durée maximale de quatre ans, sans dégressivité. En moyenne, les chômeurs touchent 23 200 euros (environ 35 000 $). Durant les six premiers mois de chômage, des programmes « d’activation » pour retrouver un emploi sont obligatoires… Un contrôle sévère est exercé et conditionne le versement des indemnités », nous annonce Stéphane Paquin dans son étude. Le tout est financé par une taxe sociale, une diminution des charges sociales et une augmentation de la taxe de vente.

De telles réformes sont-elles nécessaires au Québec pour contrer cette insécurité d’emploi grandissante ? Et d’ailleurs serait-ce réalisable ?

Oui des changements s’imposent, toutefois comme nous l’avons vu il s’agit davantage d’assurer une sécurité du revenu qu’une sécurité d’emploi. Si pour Diane-Gabrielle Tremblay la solution est dans la mise en place d’un modèle scandinave, Stéphane Paquin pour sa part n’y croit pas. Et pour cause « tout ce qui a été réalisé dans les pays scandinaves a déjà été refusé comme alternative au modèle québécois : frais modérateur en santé, partenariat public-privé, ouverture de cliniques privées, concurrence dans le milieu de l’éducation, modernisation de l’État… ». Il va d’ailleurs plus loin en indiquant que le fédéralisme empêche tout simplement la mise en place d’un modèle de flexsécurité danois. Où se trouve donc la réponse ? Et pourquoi pas la société civile ?

Nous l’avons vu, les conditions de travail ont changé. Nous faisons désormais face à davantage d’insécurité d’emploi. Ajoutons à cela que les modèles ont également changé, au travailleur masculin qui faisait toute sa carrière dans la même entreprise, nous avons désormais un travailleur nomade, dont les périodes de chômage peuvent ponctuées la carrière. De plus ce travailleur est désormais autant un homme qu’une femme. Cette dernière vit toutefois davantage de précarité. Le modèle scandinave semble un idéal difficilement réalisable au Québec. Pourtant il est évident que des changements sont plus que nécessaires afin d’assurer une certaine sécurité de revenu à tous. Alors qu’ils travaillent plus d’heures qu’il y a trente ans, les Québécois ne se sont pas enrichis et l’écart entre les riches et les pauvres se creuse davantage. Bien sûr l’État doit intervenir et oser prendre les réformes qui s’imposent.

Toutefois, il ne faut pas pour autant oublier notre responsabilité de citoyen. Après tout, l’État c’est aussi nous, la société civile. S’impliquer dans son milieu ne serait-ce qu’en allant voter, plutôt que d’être désabuser par la chose politique serait déjà un beau changement. Comment exiger de l’État des réformes lorsque seulement 57.3% d’entre nous sommes allés voter aux dernières élections provinciales, le taux le plus bas depuis 1927 ?

Mais, ne soyons pas trop dur, non plus, avec la société civile. En effet, c’est davantage dans le développement d’entreprises d’économie sociale que la société civile s’est impliquée. C’est sans doute ici qu’est la solution. Le développement d’une économie sociale et solidaire, un entreprenariat issu du milieu communautaire. « L’apport de la coopération et de l’économie sociale ne se limite cependant pas à des emplois puisque la mobilisation qui donne naissance à ce type d’entreprises à propriété collective favorise également le développement de communautés et de régions, voire même de l’ensemble de la société québécoise. »

Sources :
Diane-Gabrielle Tremblay, Chômage et nouvelles conditions de travail : les nouveaux habits de l’instabilité et de l’insécurité – travail et société, évolution et enjeux,

Stéphane Paquin, Professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Jusqu’ici tout va bien ? Les modèles québécois et scandinaves face à la concurrence mondiale

Diane-Gabrielle Tremblay, L’emploi des femmes et la division sexuelle du travail : évolution récente – Travail et société

Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper, Qui s’enrichit, qui s’appauvrit 1976–2006

Site internet de Radio-Canada : http://elections.radio-canada.ca/elections/quebec2008/2008/12/09/006-Elections-tax-participation.shtml

Louis Favreau, L’économie sociale québécoise à un tournant : une analyse politique, juin 2007,  http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/spip.php?article18 

5 commentaires sur “L’économie sociale et solidaire plutôt que le capitalisme pur et dur !

  1. Je voulais lire ton billet mais aussitôt les premières mots « féministe » et voilà le coeur me lève. Je suis écoeur d’entendre ce mot. Le mot du mal à notre société actuel.

  2. C’est le précédent article qui évoquait le féminisme. Oui le mot est galvodé, mais je l’assume tout à fait.

    Encore aujourd’hui travail égal, salaire inférieur. Le féminisme pour moi c’est juste d’offrir les mêmes possibilités aux hommes et aux femmes.

  3. Je ne me considère pas comme une féministe, mais je vis cette réalité… :
    « Lorsque l’on fait partie d’une entreprise, avec un emploi permanent, on adhère à des valeurs, à une culture d’entreprise. On développe un sentiment d’appartenance, à une équipe de travaille dont on fait partie, à une entreprise, elle-même porteuse d’une mission. Beaucoup de personnes se réalisent même à travers leur travail. On peut alors comprendre qu’inversement, un travail à temps temporaire, contractuel ou même sur appel apporte angoisse et incertitude, voire manque de reconnaissance et de sentiment d’appartenance. »

    Je suis très très d’accord avec le fait qu’il est très difficile de s’impliquer dans une entreprise pour laquelle on chausse les chaussures de quelqu’un d’autre en sachant qu’il faudra les rendre et en chercher d’autres !!
    Comment se sentir concernée à 100% et participer efficacement ???

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