Pour la majorité des jeunes de la nouvelle génération, le féminisme semble dépassé et l’égalité entre les hommes et les femmes une chose parfaitement acquise dans leur vie quotidienne, tant personnelle que professionnelle. Certaines jeunes femmes vont même jusqu’à dénoncer la discrimination positive en faveur des femmes. Discrimination qui favorise les femmes au détriment des hommes dans certains emplois où elles sont justement sous représentées.
Mais qu’en est-il vraiment ? Au Canada et en Europe (en France notamment) la nature du travail des femmes a-t-elle tellement évoluée qu’aujourd’hui une femme accède aux mêmes emplois qu’un homme, aux mêmes conditions ? Plus précisément on se demandera si les femmes accèdent aux mêmes conditions de travail, notamment salariales que les hommes. À travail égal, salaire égal ?
C’est la deuxième guerre mondiale qui permet à beaucoup plus de femmes d’accéder au marché du travail. La main d’œuvre masculine est au front et les entreprises ont besoin des femmes pour continuer à faire tourner les usines. Mais contrairement à la première guerre, beaucoup moins de femmes vont retourner à la maison à la fin de la guerre. D’une part, parce qu’un bon nombre font se retrouver veuves et doivent donc subvenir aux besoins de la famille; d’autre part beaucoup d’entre elles ont pris goût à la vie active. Le mouvement féministe des années 1970 va énormément accentuer le phénomène et les mentalités vont également changer.
À la deuxième guerre mondiale, Diane-Gabrielle Tremblay , indique cinq autres facteurs qui ont favorisé la progression des femmes sur le marché du travail. Elle note ainsi le développement du travail tertiaire dont les activités « se rapprochant des activités traditionnellement effectuées par les femmes au sein des familles ».
Un autre facteur important est celui du niveau de scolarité. Davantage de filles vont à l’université pour ensuite exercer une profession rémunérée. La fécondité et l’augmentation du taux de divorce constituent les derniers facteurs favorisant la progression des femmes sur le marché du travail. Globalement les femmes ont moins d’enfants et ont ainsi davantage accès au marché du travail. Toutefois l’arrivée des enfants n’est pas sans conséquence sur la carrière des femmes, comme nous le verrons plus loin. Le divorce qui se développe impose également à la femme d’être autonome financièrement. Ainsi tous ces facteurs expliquent très bien comment les femmes ont accédé au marché du travail. C’est un fait incontestable, les femmes ont une place de plus en plus grande au sein de la population active. Mais quelle est la nature de cette place, voyons ce que disent les statistiques.
Il y a presque autant d’hommes que de femmes au sein de la population canadienne. On pourrait donc penser qu’ils travaillent à part égale. Toutefois ce n’est pas le cas, alors que le taux d’activité des hommes, au Canada, en 2001 est de 72.5%, il se situe à 59.7% chez les femmes. Cependant cet écart tend à s’amenuiser au fil des ans, et les femmes sont en voie d’être aussi présentes que les hommes sur le marché du travail . Mais est-ce à dire qu’elles ont accès aux mêmes emplois et aux mêmes conditions de travail ?
Je suis portée à croire que non. Mon expérience auprès des femmes me laisse à penser qu’encore aujourd’hui les femmes n’ont pas accès aux emplois les plus payants et ce malgré une réussite scolaire incontestable ! C’est le fameux plafond de verre si difficile à briser. Mais ce n’est pas cela uniquement. Bien sûr il est évident qu’une meilleure scolarité permet aux femmes d’accéder à l’emploi plus facilement que si elles n’étaient pas scolarisées. En fait, il semble que les filles étudient dans des domaines plus typiquement féminin, perpétuant ainsi une division sexuelle du travail tout comme la différence des conditions de travail. Il faut bien des efforts et des programmes gouvernementaux pour inciter les filles à se diriger vers les métiers non traditionnels. Mais le plus dur reste ensuite à faire, se faire accepter dans un secteur majoritairement masculin. Oui, les mentalités changent tranquillement, et aujourd’hui presque plus personne ne semblent faire de cas de voir une femme entrer dans la Police. Oui il y a des progrès considérables qui ont été effectués, mais peut-on réellement parler d’égalité, comme semble le croire bien des jeunes ? Ce qui est encourageant c’est que « plus les personnes sont jeunes, moins les écarts sont importants » comme l’indique bien Diane-Gabrielle Tremblay. Mais il y a toujours des écarts.
Et ce qui m’inquiète beaucoup c’est d’entendre les jeunes dirent qu’il n’y a plus d’écarts. Il me semble que tant qu’ils sont aux études, il est possible qu’ils vivent cette égalité (et encore, on parle de plus en plus de l’échec scolaire des garçons) mais dans le monde du travail, les chiffres nous indiquent bien que ce n’est pas la réalité. D’ailleurs, Julie Cool l’a bien remarqué, dans sa publication de juillet 2010, elle écrit « Selon les données du recensement de 2006, les femmes de 25 à 54 ans constituent la très grande majorité des personnes qui exercent les 20 professions les moins bien payées. En revanche, les 20 professions les mieux payées au Canada sont à prépondérance masculine ». La loi sur l’équité salariale, une bataille féministe de plus de 15 ans, ne semble pas avoir réglé le problème, même si cela a permis de réduire les écarts.
Voici un exemple, dans un domaine que je connais plus particulièrement : l’aide aux femmes victimes de violences conjugales. Au Québec, il existe des maisons d’hébergement pour ces femmes. Il existe également des établissements venant en aide aux hommes ayant des comportements violents. On retrouve dans ces deux types d’établissement des salariés, ayant des diplômes d’études secondaires ou universitaires, tous portent le titre d’intervenantEs.
Il est à noter que dans la très grande majorité des cas, les établissements pour femmes n’embauchent que des femmes et les établissements pour hommes n’embauchent que des hommes. Les services sont semblables (écoute, référence, atelier d’estime, intervention de groupe et individuelle…) bien que les établissements pour femmes offrent l’hébergement en plus, donc des services 7 jours sur 7 et 24 heures par jour. Les établissements pour femmes existent depuis environ une trentaine d’années au Québec et sont beaucoup mieux financés que les organismes pour les hommes. Pourtant les hommes bénéficient de meilleures conditions salariales. Entre 2007 et 2008, le taux horaire moyen se situait entre 19.04$ et 22.79$ (avec une variation allant de 14$ à 36$). De leur côté, les femmes avaient un salaire entre 16$ et 17$ de l’heure (avec une variation allant de 11$ à 25$). Par contre, alors que 84.8% des maisons pour femmes offrent des assurances médicales et assurances vie, seulement 59.9% des établissements pour hommes offrent ces avantages. J’avoue que l’écart entre les taux horaires les plus élevés (25$ pour les femmes et 36$ pour les hommes) m’a vraiment surprise, d’autant plus que l’on est dans un milieu très sensible aux conditions de travail des femmes, pour ne pas dire féministe. Alors à travail égal (ce qui n’est pas vrai car les établissements gèrent en plus de l’hébergement), salaire inférieur pour les femmes ! Mais d’où vient ce phénomène, est-ce en relation avec la situation familiale des femmes ?
Dans son texte « Gestion de la main-d’œuvre et formes familiales : du paternalisme à la recherche de flexibilité », l’auteure, Marie-Agnès Barrère-Maurisson montre bien les liens entre le travail et la famille, notamment en ce qui à trait aux politiques de gestion de la main d’œuvre, qui tendent à être des politiques des politiques de gestion familiales. Aussi en arrive-t-elle à la conclusion que « le lien entre la précarisation de l’emploi et la précarisation de la famille ne serait alors que la manifestation…de l’évolution de l’articulation entre gestion de la famille et gestion du travail, principe de base de la gestion de la main d’œuvre ». Et oui, à partir du moment où les femmes ont une vie de famille, il semble que leurs conditions de travail changent, et cela d’autant plus qu’il y a des enfants. Ainsi, c’est majoritairement la femme qui aménage son temps de travail pour faire face à des responsabilités familiales. De fait, la majorité des postes à temps partiel sont occupés par des femmes, ce qui en partie contribue à les appauvrir. Ajoutons à cela, qu’il y rarement des possibilités de promotion lorsque l’on travaille à temps partiel.
Mais cela va plus loin, puisque Julie Cool précise « de récentes études montrent que plus une femme a d’enfants, plus son taux horaire est bas. Pour les hommes, la tendance est à l’inverse. Les hommes qui ont des enfants bénéficient d’un taux horaire plus élevé que ceux qui n’ont pas d’enfants. L’écart salarial est mince ou inexistant pour les hommes et les femmes qui ne se sont jamais mariés ». Ainsi, ce n’est pas la scolarité, ni la situation économique mais bien en partie la situation familiale qui a un impact sur les conditions de travail des femmes.
Nous voici au terme de notre réflexion. Notre questionnement portait principalement sur les conditions salariales des femmes. Nous voulions savoir si à travail égal, le salaire des femmes était équivalent à celui des hommes. À cette question, Diane-Gabrielle Tremblay nous répond « les femmes sont toutefois nombreuses à être encore confinées à des emplois atypiques… la double tâche visant à concilier famille et emploi semble aussi davantage les concerner…. Elles sont encore tributaires de revenus inférieurs à ceux des hommes ». Julie Cool va dans le même sens « L’écart salarial entre les femmes et les hommes persiste au Canada. Comme nous l’avons vu, deux facteurs déterminants de l’écart salarial sont la concentration des femmes dans un petit nombre de groupes d’emplois peu rémunérés et le fait que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de prendre des arrangements pour concilier le travail rémunéré et les tâches non rémunérées.
Ainsi, la réponse est non, nous l’avons vu au travers d’un exemple, à travail égal, les femmes gagnent un salaire inférieur à celui des hommes. On est bien loin de l’égalité !
Toutefois, les jeunes générations, n’ont pas tord non plus. Les chiffres nous le montrent bien, tant que la femme est célibataire, il semble qu’il y ait une certaine égalité entre les hommes et les femmes, au niveau de leurs conditions de travail. C’est à partir du moment où les femmes sont en couple, et à plus forte raison, lorsqu’elles ont des enfants, que leurs conditions de travail changent.
Ainsi, en privilégiant leur famille plutôt que leur travail, les femmes consacrent davantage de temps aux tâches ménagères que leur conjoint tout comme elles consacrent plus de temps aux responsabilités familiales (que ce soit au niveau des enfants, ou comme on le voit de plus en plus au niveau des soins aux parents âgés). Il semble que la division sexuelle du travail se perpétue encore aujourd’hui malgré l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. La femme est encore celle qui dans un couple ou une famille, va s’occuper de la maison, des repas, des enfants et des parents vieillissant, en plus d’avoir un travail rémunéré à l’extérieur de la maison. L’homme n’est plus l’unique pourvoyeur de la famille, et dans bien des cas le salaire de la femme est une nécessité pour subvenir aux besoins de consommation grandissant de la famille. Et bien qu’elle soit de plus en plus pourvoyeur elle aussi, la femme n’en reste pas moins celle qui a le plus de responsabilités et de tâches familiales. Mais est-ce par choix véritable que les femmes cumulent travail rémunéré et responsabilités familiales ? N’est-ce pas plutôt le poids des mentalités de la société ?
Sources :
Diane-Gabrielle Tremblay, l’emploi des femmes et la division sexuelle du travail : évolution récente – 2004
Julie Cool, l’écart salarial entre les femmes et les hommes – division des affaires sociales – 2010
Marie-Agnès Barrère-Maurisson, gestion de la main d’œuvre et formes familiales : du paternalisme à la recherche de flexibilité – 2004